« Le suicide est un acte entouré de mystère. Et le mystère d’un
tel geste mérite le respect et la discrétion. » Ces
mots sont ceux d’Etienne Delannoy, chef de service départemental à
l’ONF du Jura. Personne ne viendra le contredire. Mais les conditions
dans lesquelles un agent forestier de 56 ans a mis fin à ses jours il y
a quinze jours – dans la cour de son lieu de travail à l’ONF Poligny –
pose tout de même question. Y-a-t-il un climat malsain ? Comme de
nombreuses autres administrations d’Etat, l’ONF est soumis à des
contraintes serrées en termes d’effectif. Mais pas uniquement.
« Notre cœur de métier a été sérieusement remis en cause ces
dernières années, explique Jacques Ducarme, secrétaire régional du
Snupfen (syndicat majoritaire). De fonctionnaires indépendants de la
loi du marché, nous sommes devenus des commerciaux soumis à une
politique chiffrée, avec des objectifs à atteindre qui nous perturbent
et nous déstabilisent. » De sorte que le “super” forestier
d’antan peut vite devenir un médiocre forestier aujourd’hui, puisque
les critères de jugement ont changé. « Certains, mal notés à
cause de ces changements, se sentent démoralisés. Ils passent d’un
statut de forestier assermenté, représentant de la force publique, à un
statut de commerciaux, chargés de vendre quitte à ne pas tout dire.
C’est un revirement trop abrupt parfois. »
D’une mission auparavant très généraliste, les agents sont passés à des
tâches très spécialisées : l’un s’occupe de classer le bois, l’autre de
la surveillance de la chasse, etc. Ce manque de polyvalence, de
connaissances générales du terrain est aussi, toujours selon M.
Ducarme, un motif de frustrations et d’inefficacité dans le travail.
Y’a de la réforme dans l’air
Sans compter l’état des comptes : les agents savent que leur
administration est en grande difficulté financière et que l’Etat réduit
ses aides, une autre donnée qui pèse beaucoup sur le moral des troupes.
Pour Jacques Ducarme, le fait que le budget de l’ONF dépende de la
vente de bois est malsain : « Il faudrait asseoir les revenus
de la foresterie sur autre chose ». L’incertitude du lendemain
est lourde : le contrat de plan Etat-ONF se termine en 2011 et personne
ne sait, pour l’heure, ce qui se passera ensuite. Les sénateurs ont
parlé d’une partition, d’une réorganisation possible, jugeant que l’ONF
ne pourra pas durer en l’état. Cette réforme « dans
l’air » inquiète les personnels, déjà habitués à d’incessantes
réformes depuis 2002 et à des remises en cause du pourtour des
circonscriptions territoriales. Pour le syndicaliste Snupfen, les
agents subissent trois formes de pression : celle du système
hiérarchique « rigide », celle du nouveau management
par objectifs et celle, plus personnelle, venant de soi-même. Car les
forestiers travaillent souvent seuls, face à eux-mêmes. Dans cette
ambiance, Jacques Ducarme atteste qu’il est difficile de ne pas se
démotiver. « On a l’impression qu’ils (l’Etat, ndlr) veulent
tout casser pour mettre du privé à notre place. On nous fixe
des objectifs inatteignables. Pour moi, c’est une façon d’affirmer que
le service public n’est pas capable et que le privé y parviendra
mieux. »
Ce ressenti suffit-il à envisager de quitter la vie ? Chacun aura sans
doute sa propre réponse. Mais, précise Jacques Ducarme, il faut
comprendre que « beaucoup de forestiers ne vivent que pour
leur travail. Ils sont passionnés par ce qu’ils font, investis à
fond. » Un grain de sable dans ce rouage peut alors, parfois,
tout déclencher.
Une enquête interne va débuter en janvier
Après le suicide de l’agent polinois, une commission d’enquête a été
formée en interne par le comité d’hygiène, de sécurité et des
conditions de travail (CHSCT). Cette commission devra déterminer si des
facteurs de la vie professionnelle du défunt ont pu le pousser à
commettre un tel acte. Elle devra aussi définir quel autre
moyen d’alerte efficace, hormis ceux existant déjà, pourrait éviter que
ce genre de situation se reproduise.
« La commission commencera son travail début 2010. Un expert
extérieur à l’ONF devrait être nommé pour fournir une aide
méthodologique notamment dans le déroulé des auditions »,
explique la responsable des Ressources humaines de la Direction
territoriale de Franche-Comté, Marie-Claude Munischi.