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L’Office
national des forêts doit-il s’acquitter de la taxe
professionnelle ? La justice dit oui. Les communes ardennaises sont
mitigées.
LE jugement a fait l’effet d’une bombe. Le 14 avril dernier, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, saisi par la commune d’Auberive (Haute-Marne), estimait que l’Office national des forêts exerçait sur cette commune des « activités à caractère marchand » et qu’à ce titre, il était assujetti au paiement de la taxe professionnelle pour les années 20<img alt="photo foret" src="IMG/jpg/frtmarne.jpg" align="right" border="5" height="267" hspace="5" vspace="5" width="400">06 à 2008 (c’était l’objet de la procédure).
« L’ONF devra ensuite chaque année régler la contribution économique territoriale (CET) qui a remplacé la taxe professionnelle, et l’État devra compenser le manque à gagner pour la commune », précisait dans la foulée l’avocat de collectivité, Me Misset.
Dans ses attendus, le tribunal s’est fondé sur le code général des impôts, selon lequel les « exploitations industrielles ou commerciales de l’État doivent acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations »… Aussitôt la nouvelle connue, plusieurs questions se sont posées : le jugement ferait-il jurisprudence ? et quel serait alors le potentiel de recettes pour les communes concernées ?
Du côté de l’ONF, une note de la direction nationale de l’Établissement public a été adressée aux antennes départementales. Au cas où…
« À ce jour, cependant, aucune commune ardennaise ne m’a contacté sur cette question de la taxe », indique Jean-Michel Duverney, responsable de l’ONF dans les Ardennes.
À Dijon, siège de la direction régionale Bourgogne
- Champagne-Ardenne, le responsable juridique demeure prudent.
« Précisons d’abord que c’est l’État
qui était attaqué par Auberive, pas l’ONF. Il
était reproché au fisc de ne pas avoir inscrit
l’ONF sur le rôle des contributions… Par ailleurs,
on ignore à ce jour si appel sera formulé (le
délai est de deux mois, NDLR). Enfin, il est à
noter que la direction de l’ONF s’est rapprochée de Bercy
(ministère du Budget) pour étudier
précisément toutes ces questions. »
C’est également ce qui a été répondu à Frédérique Massat, députée (PS) de l’Ariège, lorsqu’elle a abordé le sujet (une éventuelle jurisprudence du jugement de Châlons) lors de l’audition par la commission des affaires économiques et sociales de l’Assemblée du président et du directeur de l’ONF, Hervé Gaymard et Pascal Viné.
D’autres points méritent d’être précisés : c’est bien le caractère commercial de certaines des activités de l’Office qui est visé (en clair, la revente de bois) et surtout, cela ne concerne que les forêts domaniales.
La prudence des maires ardennais
« Le cas d’Auberive étant assez exceptionnel puisque 100 % des 5.000 hectares de forêt que compte le territoire de la commune appartiennent à l’État » glisse ainsi un cadre de l’ONF du siège régional.
Or, à défaut de taxe professionnelle, l’ONF règle en revanche les taxes foncières : ce qui représente un million d’euros annuel pour la région Bourgogne - Champagne-Ardenne…
Dans notre département, aucune euphorie chez les élus. Président de l’Association des communes forestières des Ardennes, Philippe Canot, maire de Sécheval, est circonspect : « Le sujet va être débattu lors de notre congrès national, ces jours-ci. Dans un premier temps, on pourrait effectivement être tenté de se frotter les mains : quelques milliers d’euros de taxe, c’est toujours bon à prendre. Seulement, nous ne sommes pas dupes. Nous savons que l’ONF doit faire face à un budget contraint, comme on dit pudiquement. Or, les premières estimations font état, au niveau national, de 6 millions d’euros à reverser entre les différentes communes forestières françaises sous forme de taxe professionnelle (devenue contribution territoriale) si le jugement fait jurisprudence. Et où l’ONF ira les chercher, ces 6 millions, à votre avis ? »
L’élu craint tout simplement que ce soit ces mêmes communes qui les règlent via les « frais de garderie » (qui ont déjà été augmentés), que l’ONF facture aux communes pour entretenir leur forêt… communale. En effet, conclut le maire de Sécheval, « nous ne sommes pas dans la situation (assez singulière) de nos amis de Haute-Marne. Chez nous, la forêt domaniale ne représente qu’une petite partie du territoire de la commune. Le reste, c’est de la forêt communale. » D’où la crainte d’un système de vases communicants qui consisterait à rendre de la main gauche ce que l’on aurait gagné de la main droite.
On l’aura compris, ce que l’avocat d’Auberive considérait comme « un paradis fiscal » pour l’ONF s’avère pour l’heure surtout une drôle de patate chaude. Voire un arbre un peu chancelant encore qui cache une forêt où la langue de bois côtoie les comptes un peu plombés de l’ONF (lire par ailleurs) !
Philippe MELLET