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Le garde forestier est-il en train de devenir un simple marchand de bois, un prestataire de service à l’affût de ses clients ? Rarement sous les feux de l’actualité, l’Office National des Forêts ne semble pas échapper aux dogmes du libéralisme effréné. Les métiers de la forêt en sont les premières victimes mais, plus insidieusement, c’est tout l’héritage forestier français et son patrimoine naturel qui en est menacé. « Quelle forêt pour nos enfants ? », se demandent les forestiers.
« Gestionnaire
de forêts et d’espaces naturels, l’ONF
est acteur du développement durable »,
peut-on lire en en-tête du site officiel de
l’Office National des Forêts. Une vocation de
service public honorable pour cet organisme issu de la prestigieuse
Administration des Eaux et Forêts créée
à la fin du 19e siècle, devenu EPIC
(Établissement public à caractère
industriel et commercial) en 1964. Mais si le développement
durable s’affiche en filigrane à toutes les pages,
la durabilité des missions de l’ONF semble de plus
en plus contestée par ses agents.
Le 19 mars dernier à Toulouse, comme dans quatre autres
grandes villes de France, des ouvriers forestiers manifestaient pour
dénoncer leurs conditions de travail et la suppression de
nombreux postes. Le dernier contrat de plan pour les quatre ans
à venir prévoit une réduction de 700
emplois, soit 1,5 % par an, qui se traduit par de plus en plus
de postes vacants. « D’ici cinq
ans, l’ONF n’existera plus, prévient
Dominique Dallarmi, responsable de secteur à St-Gaudens. En
2016, l’Office aura moins de personnel
qu’à sa création. »
Il est vrai qu’avec 725 personnes dans le Sud-Ouest
(Aquitaine et Midi-Pyrénées réunis)
pour plus de 500 000 ha de superficie gérée,
l’ONF peine à assurer ses missions
« régaliennes » de
gestion et de surveillance. Mais n’est-ce pas le but
avoué d’une perpétuelle
réforme des services en cours depuis dix ans ?
« Nous passons d’une logique
d’aménagement et de « gardiennage »
à un recentrage sur la production de bois, explique Philippe
Berger, secrétaire national du SNUPFEN (1). Pour nous, une
gestion forestière durable implique une approche globale et
pluri-fonctionnelle, aujourd’hui on ne nous permet plus
d’assurer les missions confiées par les codes
forestiers et de l’environnement. Nous devenons le bras
armé de la filière bois ».
« La production est
maximisée au détriment des fonctions sociales et
environnementales de la forêt, confirme Dominique Dallarmi.
Tout ce qui peut être favorable à la
commercialisation du bois est bien vu, même au
mépris de la réglementation. »
Lots exploités trop tôt, procès-verbaux
pour vol de bois étouffés, volumes
bradés, larges concessions à de gros
exploitants… Les exemples de dérives se
multiplient.
Une vision à court terme
Agent de terrain sur
l’arrondissement de Millau, Frank Saigne vit au quotidien
cette surenchère à la production, soumis au
nouveau management d’objectifs. « On
prélève plus que ce que la forêt
produit, on n’a plus les moyens de la gérer
sereinement. Les coupes à blanc se font sans
régénération du sol, il n’y
a pas de budget pour replanter derrière… ».
Les plans de gestion qui orientent sur quinze ans
l’aménagement de chaque forêt se
réduisent en termes de mètres cubes et
d’euros. De plus en plus simplifiés, ils
privilégient le court terme au mépris des
échelles de temps séculaires de certaines
essences, comme ces anciennes chênaies de St-Gaudens qui, une
fois surexploitées, mettront très longtemps
à se recomposer. Les forêts publiques, bien que ne
représentant qu’un tiers des espaces
boisés en France (18 % dans le Sud-Ouest),
recèlent de vieux boisements importants en termes de
biodiversité.
Seule la forêt de Bouconne, en
périphérie de Toulouse, semble avoir
été épargnée, sa situation
périurbaine lui valant un statut de protection. Bien que,
là encore, un œil averti relèvera le
déficit de travaux touristiques en retard, du fait de la
désorganisation des services.
Car l’ONF s’est scindé en
agences spécialisées, chacune en charge de
missions spécifiques. Etudes, travaux, commercialisation,
elles remplacent les agences territoriales qui coordonnaient
l’ensemble des missions. Tandis que ces dernières,
dépossédées de leurs missions,
fusionnent en services de plus en plus centralisés, au
détriment du maillage territorial, ce cloisonnement en
prestations favorise la concurrence entre les différentes
équipes. Deux agences de l’ONF peuvent candidater
sur la même prestation et la désinformation entre
collègues est de mise. « On peut
ne pas être prévenus des travaux, qui se font
parfois sur des parcelles non prévues, raconte Frank Saigne.
Mais surtout, nos missions de base sont occultées au profit
de prestations plus rémunératrices. Des agents de
l’ONF se retrouvent à relever des lignes
électriques en milieu urbain, sous contrat avec
EDF ! »
Dépossédés de leur métier
et de leur forêt, beaucoup vivent très mal ces
changements. <a
href="http://www.letelegramme.com/ig/generales/france-monde/france/suicides-bruno-le-maire-je-ne-laisserai-pas-tomber-les-agents-de-l-onf-26-07-2011-1382076.php"
class="spip_out" rel="external">L’ONF a
connu 25 suicides en France en cinq ans, dont quatre dans le
Sud-Ouest l’an passé. Ces drames, compte tenu des
effectifs de l’ONF, sont tout de même
proportionnellement cinq fois plus importants que ceux de France
Telecom. « Nous ne sommes pas
passéistes, les forestiers sont prêts à
évoluer, assure Philippe Berger. Mais à condition
de revenir à une vision globale de la forêt,
pourquoi pas en collaborant avec le privé pour un grand
service public. »
(1) Syndicat National Unifié des Personnels des Forêts et de l’Espace Naturel