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L’ONF (Office national des forêts), l’un des derniers services publics en milieu rural, va mal. Depuis 2005, 24 agents se sont suicidés dont deux en juillet.
Au-delà de ces tragédies, l’ONF est lancée dans une mutation au pas de charge depuis 2002. En dix ans, un emploi sur dix a disparu et 700 autres seront supprimés d’ici 2016. Patrick Latournerie et Ramuncho Tellechea, agents forestiers affiliés au syndicat SNUPFEN Solidaires (majoritaire à l’ONF) tirent la sonnette d’alarme. « Nous avons trois missions au sein de l’ONF » détaille Ramuncho Tellechea : « Garder les équilibres et maintenir la biodiversité de la faune et la flore, produire le bois confié par l’État et accueillir le public ».
Mais aujourd’hui selon les forestiers, ces missions ne peuvent plus être menées correctement. En cause la réforme de l’ONF au sein de la révision générale des politiques publiques (RGPP) mise en place par le gouvernement pour dégraisser la fonction publique.
9 500 agents contre 15 000 en 1986, la réforme de l’ONF ne se fait effectivement pas sans douleur. « Il y a de moins en moins de monde et de plus en plus de bureaucratie » dénoncent les deux forestiers. « On est au taquet, à la limite de la surexploitation sauf là où les enjeux écologiques sont forts. La forêt est globalement bien gérée » poursuivent les forestiers « mais le moyen et le long terme (40 à 50 ans) sont oubliés. On voit à deux ou trois ans, les lignes rouges sont franchies régulièrement ». Dans le département un agent gérait 1 000 à 1500 hectares avant la réforme, 2 000 à 2500 aujourd’hui, sans doute 3 000 demain. « On sectorise, on spécialise, on individualise, on élimine ce qui n’est pas maîtrisable, c’est-à-dire l’humain. C’est une forme de taylorisme pernicieuse » dénonce Ramuncho Tellechea. « La forêt multifonctionnelle ne doit pas devenir uniquement un producteur de bois » conclut-il.
« Notre rôle de chef est de dégager l’objectif commun »
Yves Béague, chef de l’agence départementale, reconnaît l’inquiétude de ses agents. « La finalisation du contrat 2012-2016 est en cours. Nous sommes des fonctionnaires et subissons la RGPP. On a des objectifs pour nourrir la filière, on doit produire du bois » constate-t-il, impuissant. « On essaie d’exploiter tout en maintenant les écosystèmes mais il est vrai qu’on va moins souvent là où n’exploite pas de bois. Dans notre département, il n’y a pas de surexploitation mais le marché du bois (en chute libre NDLR) est un frein à l’exploitation ».
Niant une privatisation rampante, le chef d’agence explique la spécialisation : « Les métiers sont plus complexes, on demande de plus en plus de choses et nous devons faire face à la concurrence que ce soit pour les travaux forestiers, les bureaux d’études, etc. Il y a des contrats de gestion pour chacun mais notre rôle de chef est de se faire rencontrer les agents et dégager l’objectif commun », assure-t-il. « Face à l’individualisation, on essaie de valoriser l’effort collectif. Il faut agir sur les moyens qu’on nous donne. « On a dans le département la tradition d’être lié et soudé, ici on poursuit le dialogue », affirme Yves Béague qui relève malgré tout un risque : « Si l’on n’est plus assez nombreux, il y a risque de délégation du public au privé ».
« L’ONF est un outil remarquable qui a besoin d’évoluer. Mais le manque d’effectifs nous fait lâcher des missions. On peut être inquiet pour l’avenir », conclut Ramuncho Tellechea.
===> Repères
l 69 agents travaillent pour l’ONF dans les Pyrénées-Atlantiques. Deux agents patrimoniaux (gardes forestiers) disparaîtront à la fin de l’année, après quelques années de stabilité. De 50 il y a dix ans, les gardes forestiers seront 40 à la fin de l’année.
l 80 490 hectares de forêts sont gérés par l’ONF dans le département. La seule forêt domaniale est le bois de Bastard à Pau, le reste de la forêt appartenant aux communes ou syndicats. 10 % (12 % en plaine) des recettes (chasse, bois, pacages) de ces forêts communales ou syndicales sont reversés à l’ONF. Outre le fruit des coupes des bois, l’ONF bénéficie d’un versement compensateur de l’État, d’environ 120 millions d’euros par an. En baisse depuis 2000 en euros constants selon les syndicats.
l Les cours du bois ne sont pas rassurants pour les revenus de l’ONF. De 90 euros la stère il y a 13 ans, le prix du bois est descendu à 20 euros cette année.
===> Forestier : la solitude et la passion
« La solitude pour expliquer les suicides ? Mais nous avons toujours été habitués à être seuls en forêt » s’exclame Ramuncho Tellechea. « Forestier est un métier de nature et de passion. La mission de l’ONF est de produire le bois dont nous avons besoin mais aussi maintenir la biodiversité et assurer l’accueil du public » (chasse, tourisme, scolaires, etc.)
La formation dure tout au long de la vie
« Notre métier est d’abord un métier de passion. On parle en disant MA forêt, on entre dans du vivant dont nous ne connaissons pas toutes les interactions avec des milliers d’espèces. C’est d’une complexité extrême et notre devoir est de sortir du bois en gardant les équilibres et en pensant au long terme. À l’école forestière, on nous apprend que notre mission est la pérennité de la forêt. Or, on a le sentiment que la forêt multifonctionnelle ne devient que productrice de bois. On n’a plus de vision à long terme » déplore son collègue Patrick Latournerie.
Dans ce métier où l’esprit d’observation et un bon physique sont des conditions indispensables, la formation dure tout au long de la vie.
« La bureaucratie est de plus en plus lourde »
« On avait le meilleur calendrier de formation » affirme Ramuncho Tellechea. Aujourd’hui, les objectifs chiffrés et individualisés, la division des tâches entre services compartimentés, la bureaucratie de plus en lourde sont des pistes pour expliquer le sentiment de solitude.
« Le suicide ça fait peur et on se rend compte qu’on peut tomber très vite. Dans le département, on se voit, on échange, c’est sain. On maintient une bonne ambiance. Ce qui est grave c’est de voir des agents qui face à la charge de travail toujours croissante, peuvent perdre la face et ne plus y arriver. C’est ça qui désespère, pas la solitude » assène Ramuncho Tellechea.
===> « On joue avec la lumière »
« Gérer le bois est complexe et on a fait des bêtises » reconnaît Ramuncho Tellechea. « On produit du bois mais on doit soupeser les contradictions permanentes de la gestion de la forêt. Par exemple, on a pris l’eau en pleine figure. Depuis on a appris à évoluer et on fait attention aux captages d’eau. Notre rôle est de surveiller l’exploitation du bois, que les bûcherons coupent les bons arbres, qu’ils ne passent pas dans les ruisseaux, que les semis soient protégés » explique Ramuncho Tellechea.
« On marque les coupes en fonction de l’âge de l’arbre. On joue avec la lumière que se disputent les arbres. On ferme la lumière pour qu’ils grandissent en hauteur et fassent de beaux fûts. Ou va donner plus de lumière pour les faire grossir ou pour éclairer les sous-sols. On peut jouer aussi sur les mélanges d’essences mais on essaie au maximum de favoriser la régénération naturelle » explique le forestier.
Revenant sur l’évolution du métier, il prend un exemple : « On marque les arbres avec un marteau officiel, numéroté. Mais de plus en plus, les arbres sont marqués à la bombe. Nous, on refuse, car bomber de la peinture, une société privée pourrait le faire. Si l’ONF devait aller vers la privatisation, ce serait du vol de bien commun. Et nous, on risque de livrer des siècles de connaissances au privé » redoute-t-il.