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L’Office national des forêts a perdu un tiers de ses effectifs en 25 ans. Les coupes claires vont se poursuivre. Un malaise s’est instauré au sein de cet office, restructuré depuis 2002. 25 agents forestiers, dont 3 dans les Landes, se sont donné la mort.
La tempête décime des arbres. Et la restructuration tuerait des hommes ? Depuis 2005, 24 agents de l’Office national des forêts se sont suicidés, dont deux récemment, un le 6 juillet en Gironde, et un autre le 19 juillet dans l’Allier. Les forestiers broient du noir.
« Je ne laisserai pas tomber les agents de l’ONF », a déclaré récemment Bruno Le Maire, l’un des ministres de tutelle. Il a reçu la semaine dernière Pascal Viné, le directeur général de l’ONF et exigé un renforcement de « l’accompagnement personnel, afin de mieux prendre en compte les difficultés de chacun, éviter les situations d’isolement et soutenir les agents les plus fragiles ».
La ministre de l’Écologie Nathalie Kociusko-Morizet a pour sa part évoqué « la solitude » des forestiers. Ce à quoi le Snupfen, le principal syndicat des agents de l’ONF, a rétorqué : « Depuis Jean de La Fontaine, les forestiers travaillent souvent seuls en forêt, mais cela n’explique pas la vague de suicides actuelle ». Ce syndicat y voit plutôt l’empreinte des suppressions d’emploi.
Idem à la CGT-Forêt : « Après avoir détruit un emploi sur cinq depuis dix ans, et fortement dégradé les conditions de travail, l’État impose à l’ONF une hausse de l’activité, ainsi que 700 nouvelles suppressions de postes ».
Le Parti socialiste estime pour sa part que ces suppressions sont « scandaleuses ».
L’Office national des forêts a perdu un tiers de ses effectifs en 25 ans ; et va perdre d’ici à 2016 encore 600 agents. Depuis 2002, cet office s’est restructuré. Les syndicats dénoncent ces coupes claires, et un tronçonnage du métier, « la division du travail », selon Daniel Pons, délégué du Snupfen dans la Haute-Garonne, le syndicat majoritaire à l’ONF.
« Il nous arrive à nous ce qui est arrivé aux postiers ou aux agents de France Telecom. Petit à petit, l’Office est découpé en secteurs différents. Les fonctions sont séparées et la notion de service public se perd », dit un autre syndicaliste, Pierre Vertut, de Saint-Gaudens.
Ce grand barbu vêtu d’un pull vert et d’un pantalon kaki a 35 ans. Ses études ne sont pas très loin : « On m’avait appris à gérer la forêt. Mais je deviens un commercial ».
Les forestiers sortent du bois. Ils redoutent à long terme une privatisation de l’Office. Ce lundi, en Franche-Comté, ils vont se mettre en grève.
Trois gardes forestiers se sont suicidés
Il y a une quinzaine de jours, à La Teste en Gironde, les garde- forestiers ont fait une haie autour du cercueil de Charles Hederich. Cet agent de l’ONF avait 48 ans. Il s’est donné la mort le 6 juillet en se pendant sur son lieu de travail, au pied de la dune du Pyla sur le bassin d’Arcachon.
« Charles avait des difficultés, et il s’était confié à moi », rapporte Jean-Luc Pigeassou, responsable du Snupfen pour l’Aquitaine. « C’était un homme isolé. Il s’est retrouvé à devoir gérer une unité territoriale plus vaste. Et la greffe ne s’est pas très bien faite », avance un autre syndicaliste.
Un suicide en Gironde, et trois dans les Landes ces dernières années. Ces cas de suicide, en Aquitaine, font l’objet d’enquêtes internes au sein de l’ONF. Sans attendre les résultats, les syndicats accusent l’État de « sacrifier ses forestiers ». Selon un agent de l’ONF, « quand les gars ne sont pas bien, ils se replient sur eux-mêmes. Certains réagissent. Mais d’autres tombent ». Comme les arbres.
Yves Ducos : "Le métier garde son essence"
Yves Ducos est directeur de l’ONF pour le Sud-Ouest.
Percevez-vous le malaise des agents de la forêt ?
Oui. Et on le perçoit d’autant plus quand on est au contact des forestiers comme je le suis. Ce malaise est en partie dû à la réorganisation de l’Office national des forêts. Depuis 2002, l’ONF évolue, comme toutes les administrations d’ailleurs. Il y a des changements importants qui ne sont pas toujours bien perçus. Depuis un an, nous nous penchons sur ce malaise avec les représentants du personnel au sein du comité hygiène et sécurité. Nous voyons bien que les agents s’interrogent sur le sens de leur métier, les valeurs. Nous allons faire un diagnostic. En attendant, une cellule d’aide est à la disposition des agents.
Un contrat de plan Etat-ONF est en train d’être signé. La saignée des effectifs va-t-elle se poursuivre ?
Ce contrat est important car il garantit une visibilité jusqu’en 2016. L’État maintient le statut de l’ONF, lui ajoute même une nouvelle mission de protection de la biodiversité, et s’engage financièrement. Nous continuons à recruter des fonctionnaires, même si un départ sur deux à la retraite n’est pas remplacé. Actuellement, l’ONF regroupe 6 300 fonctionnaires ; il y en aura 600 de moins en 2016. Le nouveau contrat donne des perspectives. Les agents étaient inquiets de voir leur métier tronçonné, leur activité découpée… En fait, l’essence du métier sera conservée. La structure de base reste l’unité territoriale. Ce qui a changé, c’est la taille de l’unité de base, du territoire, qui s’accroît du fait de la baisse des effectifs.
Entre tempêtes et maladies, comment se porte la forêt du Sud-Ouest ?
On a subi de grosses attaques. Après la tempête Klaus, 1,6 million de m3 de bois a été coupé, après Xynthia, 200 000 m3 dans les Pyrénées. Et puis maintenant, il y a le scolyte qui s’attaque aux pins des Landes. Les agents de la forêt, qui sont très attachés à leur travail, sont sur le pied de guerre depuis plusieurs années : cela aussi influe sur le moral…